Vincent MARAN CODEP 87 FFESSM Colloque Vincent MARAN, Instructeur National Bio, créateur du site DORIS, et présent Samedi 28 Mars au Colloque à Limoges nous propose un petit article qui pourra aider le plongeur bio chevronné tout comme le "plus nul en bio que moi tu meurs" (certains se reconnaitront ;). Un article culturel & humoristique, c'est à vous de juger ! 

Venez rencontrer Vincent MARAN dans le cadre des2èmes Rencontres de la Plongée en Limousin à CHEOPS 87 à la fin du mois... 

Vincent MARAN : Doris me l’a rappelé : « Le petit, c’est joli ! », et cette maxime, appliquée à ce qui est minime, est particulièrement vraie pour ce qui concerne la vie sous-marine. Au risque de conforter ceux qui sont persuadés que les plongeurs bios ne s’intéressent qu’aux organismes minuscules(1), nous allons aborder ici le domaine de l’observation du « petit » en plongée. 

Ophtalm’eau

Colloque 2015 CODEP 87 Vincent MARANParmi les lecteurs de cette chronique, il doit certainement y en avoir un certain nombre ayant eu l’occasion de constater, tout comme l’auteur de ces lignes, qu’entre les dernières manifestations de l’acné plus ou moins juvénile et les premiers signes de la presbytie le temps qui est passé peut avoir semblé bien court… Et donc, il n’est pas rare que désormais, en plongée, certaines observations de petits organismes puissent nous échapper lors d’un premier coup d’œil vers un tombant, voire même lors d’un second ! Trois possibilités au moins s’offrent alors à nous. Premièrement, laisser tomber l’observation des petites bêtes. Ce serait quand même vraiment dommage, c’est tout un monde qui nous échapperait alors.

Deuxièmement : acheter un masque à verres correcteurs. C’est une solution très intéressante non seulement en ce qui concerne les observations biologiques mais aussi pour continuer à lire correctement les indications, qui semblent devenir de plus en plus petites, de nos instruments de plongée et de nos appareils photos. Comme on le voit (!), il peut y aller de notre sécurité… Troisièmement et enfin, il est possible de s’équiper d’une loupe, ce qui semble bien répondre au problème posé, mais encore faut-il que celle-ci possède des caractéristiques compatibles avec un usage subaquatique. Et c’est ici que l’on peut rencontrer quelques surprises !

Des observations loupées…

Prenez une loupe ordinaire, avec un manche en acier inoxydable(2) ou en plastique, et emmenez-là avec vous en plongée. Utilisez-la pour une première observation. Grosse déception ! La loupe a perdu plus de la moitié de son pouvoir grossissant ! Un petit peu de physique de base sera nécessaire si on veut comprendre ce qui s’est passé. La puissance optique d’une loupe (nommée « vergence » en optique géométrique) se mesure en dioptries, comme on le fait pour les verres de lunettes. Cette puissance dépend entre autres de l’indice de réfraction de chaque milieu traversé par les rayons lumineux qui nous parviennent. Cet indice est une grandeur physique qui dépend des caractéristiques du milieu parcouru par la lumière, et il sera donc différent selon le matériau de la lentille : verre minéral, verre organique ou plastique… Cet indice est également différent pour l’air et pour l’eau(3). C’est cette différence d’indice qui nous fait observer en plongée et à travers notre masque notre environnement grossi apparemment d’un tiers. Une loupe classique est conçue pour être utilisée dans l’air, et le grossissement indiqué par le fournisseur, s’il n’y a pas d’arnaque, est bien celui que vous pouvez constater en l’utilisant. Sous l’eau, la différence d’indice entre la lentille de cette loupe et l’eau diminue, ce qui entraîne une perte de sa puissance… et donc une grosse déception au moment de lutiliser Ceci est d’autant plus vrai avec les loupes en verre synthétique (les moins chères !) car l’indice de leur lentille est très proche de celui de l’eau. On peut alors se rabattre sur des loupes « spécialisées », de petit diamètre et de courbure de la lentille plus importante (les deux sont liés en général). Ces petites loupes, à fort grossissement, sont utilisées par les naturalistes et les philatélistes. Elles peuvent présenter un grossissement encore satisfaisant en usage subaquatique. Ces loupes ont aussi l’avantage d’être peu encombrantes, mais elles présentent toutefois plusieurs inconvénients. D’une part elles sont de petit diamètre, et donc leur champ de vision est très réduit. D’autre part, elles obligent l’observateur à être très près du sujet, ce qui peut se révéler difficile à gérer en plongée si on ne veut pas risquer de heurter le sujet ou son environnement immédiat lors d’un faux mouvement. Et si l’animal est farouche, l’approche de l’observateur et de sa loupe peut risquer de le perturber. Et enfin, ce type de loupe en un matériau compatible avec la plongée n’est pas toujours facile à trouver sur le marché.

Une loupe sous-marine…

Encore un petit peu de physique de base pour que vous puissiez avoir le plaisir de comprendre ce qui va suivre ! Les caractéristiques d’une loupe, vous le saviez déjà, dépendent de la forme de la surface de chaque côté de sa lentille. Cette surface de séparation entre le verre et le milieu extérieur porte un nom bizarre inventé par les physiciens pour faire savant : le dioptre (d’où les dioptries). Cette surface se présente, dans les systèmes optiques que nous connaissons (loupes, verres de lunettes…), comme une portion de sphère convexe ou concave, et on dira donc respectivement que les verres sont « bombés » ou « en creux ». Le long de notre axe d’observation, trois milieux sont donc séparés par deux dioptres. En usage « terrestre », ces trois milieux sont air-verre-air, en usage sous-marin : eau-verre-eau, et les deux dioptres sont la face « avant » et la face « arrière » de la loupe que nous avons entre les mains. Un ingénieux plongeur des Pays-Bas : Jos Schulte, a mis en pratique une idée toute simple - pour qui maîtrise un tant soit peu les lois de l’optique - pour concevoir une loupe pouvant conserver le même grossissement dans l’eau que dans l’air. Cette loupe est constituée de deux lentilles séparées par une couche d’air emprisonnée dans un contour étanche. La face externe de chaque lentille est plane, mais leur face interne est convexe, ce qui donne à la loupe un pouvoir grossissant identique dans l’air et dans l’eau. Ceux qui possèdent un masque à verres correcteurs ont constaté (sans probablement se poser de questions !) que celui-ci, avec évidemment une surface plane au contact de l’eau, était aussi efficace sur le bateau qu’en plongée. La loupe sous-marine de Jos Schulte, la « duikloep », présente un diamètre assez important (11 cm), elle offre donc un large champ visuel et elle est efficace à une distance raisonnable du sujet : on n’est donc pas obligé de l’approcher trop près du masque. Elle a été véritablement conçue pour un usage en plongée, et donc malgré sa taille relativement importante, sa conception très ergonomique la rend d’un usage vraiment pratique.

Plein les yeux

Avec une telle loupe, on peut découvrir un nouveau monde, à l’échelle de toute une vie souvent insoupçonnée ! Loin de moi l’idée de préconiser un usage permanent de cet instrument en plongée, mais lors de la plupart de nos explorations sous-marines il y a fréquemment des opportunités d’utilisation d’une loupe permettant davantage de découvertes inédites. Tantôt ce sera pour mieux observer ce que l’on vient de dénicher, tantôt ce sera pour découvrir dans le monde du tout petit une structure ou un organisme qui nous aurait totalement échappé à l’œil nu. Il n’est pas rare également que ce soit l’observation de tel ou tel détail de structure d’un organisme qui puisse nous permettre de distinguer une espèce d’une autre. Ce type d’observation peut aussi être réalisé au laboratoire, mais cela n’est pas dans nos pratiques habituelles de plongeurs. On peut aussi travailler d’après photo, mais tout le monde n’est pas photographe ! Une observation à la loupe, en plongée, peut donc immédiatement éclairer l’esprit d’un plongeur curieux de nature, et lui permettre aussitôt d’orienter la poursuite de ses explorations naturalistes dans une direction des plus fructueuses.

Il n’est pas possible ici de faire l’inventaire de tout ce qui pourra apparaître aux yeux du plongeur équipé d’une loupe performante, mais on peut mentionner en particulier quelques exemples qui illustrent bien le propos :

  •  Une loupe permet de découvrir la structure fine des hydraires (les « animaux-plumes ») ou des bryozoaires (les « animaux-mousses »). Ces organismes, en général de petite taille, peuvent souvent être confondus avec les plantes par des plongeurs non avertis. La loupe révèlera les détails souvent très jolis de leur structure coloniale et les polypes de chaque individu, et donc ainsi sa nature animale.
  •  Une loupe permet de mieux observer les plus petits nudibranches, ou les détails des plus grands. Les plus petites des limaces de mer peuvent avoir une taille proche du centimètre, voire moins … Comme leurs grandes sœurs, chacune des plus petites espèce peut présenter une débauche de formes et de couleurs qui ont de quoi récompenser les observateurs ayant le regard suffisamment affuté pour les dénicher ! Les plus grandes limaces de mer méritent aussi d’être observées à la loupe pour apprécier la variété des allures de leurs appendices. Parmi ceux-ci notamment les rhinophores, appendices sensoriels situés au-dessus de leur tête, et les cérates, structures dorsales pouvant présenter plusieurs rôles, et souvent aussi colorées que de formes diverses.
  • Une loupe vous ouvre les portes du monde des foraminifères. L’accumulation des squelettes des foraminifères du passé a pu permettre l’apparition de formations géologiques parfois très importantes, et certaines des roches utilisées par l’Homme, comme la « pierre-à-liards », ne sont constituées quasiment que de « coquilles » de foraminifères. Ces organismes sont donc très importants dans le monde des roches, mais en plongée, bien que discrets, ils méritent aussi toute notre attention. La plupart des espèces sont de très petites tailles, quasiment toujours inférieures au centimètre. Il s’agit d’unicellulaires capables de protéger leur partie molle (le cytoplasme) par un squelette externe formé de calcaire ou d’autres matériaux rigides parfois récupérés dans leur environnement proche. De  manière à permettre des échanges entre le cytoplasme et l’extérieur, ce squelette est le plus souvent percé de nombreux petits trous, d’où le nom de foraminifères : « porteurs de trous ». Un certain nombre d’espèces, minuscules, vivent en pleine eau et font partie du plancton. Beaucoup d’ espèces de plus « grande » taille vivent sur les fonds marins, où il nous sera plus aisé - ou moins difficile - de les trouver, ce qui en vaut la peine, car elles présentent des formes parfois très originales.

Pour vos prochaines plongées, pensez donc à bien vous équiper pour vos observations, ayez l’œil (le bon !) et …bonne chasse aux trésors visuels !

Sur le site doris.ffessm.fr les plus petits animaux présentés doivent pouvoir être visibles à l’œil nu... Néanmoins pour les plus petits d’entr’eux, il faut des moyens optiques ou un grossissement photographique pour bien en apprécier leur structure. DORIS vous présente ainsi plus d’une dizaine d’organismes unicellulaires plus étonnants les uns que les autres, tous visibles en plongée !

Remerciements chaleureux aux plongeurs physiciens qui m’ont aidé à rédiger la partie technique de cet article : Christian Pontzeele et Luc Penin.

(1)    L’auteur de cette chronique a déjà organisé un séjour de plongée bio et photo « Spécial requins-baleines et raies manta »… Si ça c’est pas du gros !

(2)    En plongée sous-marine « inoxydable » signifie que l’acier ainsi qualifié mettra un peu plus de temps qu’un acier ordinaire pour commencer à rouiller…

(3)    Indice de réfraction de l’air : 1, de l’eau : 1,33 et du verre minéral : 1,5 à 1,7. Les lentilles en matières « synthétiques » peuvent avoir des indices assez variables pouvant être compris entre celui de l’eau et celui du verre minéral.

Pour avoir davantage d’informations au sujet des loupes de plongée de Jos Schulte, voir son site (en anglais, en allemand et en néerlandais) :

http://home.kpn.nl/js.schulte/ Contact : js.schulte @ hetnet.nl